albertinemeunier
albertine
meunier, elle en a des choses à dire
...
15
août 2006
écrire
à
albertine meunier, à cath. ramus
en
compétition officielle Festival
Pocket Film 2005
EN
Today, the mobile phone is one of our most personal items. Always in our bag or in our pocket. We have only to reach for it, it’s there.
Now with built-in cameras, mobile phones can capture a series of photos and videos shot on the fly.
The London attacks of July 2005 showed the scope of this new phenomenon, where cell phone videos witnessed the events and served as evidence. These ultra-pixellated images are also broadcast on television. Reality thus revealed becomes almost indecent, always closer to the event.
Whereas nothing guarantees the authenticity of these mobile phone video images.
FR
Le
téléphone mobile est aujourd’hui un de nos
objets les plus personnels. Toujours au fond du sac ou de la poche.
Il suffit de tendre la main pour l’attrapper.
Maintenant équipé d’une caméré
intégrée, le téléphone portable permet
de capturer une série d’images et de vidéos
saisies sur le vif.
Les attentats de Londres de Juillet 2005 ont montré l’ampleur
d’un nouveau phénomène où des vidéos
issues de téléphones portables servent de témoignages
et de preuves. Ces images pixellisées à outrance
sont aussi diffusées sur les chaînes télévisées.
Une certaine indécence se dégage de cette réalité
révélée, toujours plus près de l’évènement.
Alors que rien ne garantit l'authenticité des images vidéos
transmises par le téléphone.
HORIZONS
ANALYSES ET DEBATS
L'an I du téléphone-caméra
Article paru dans l'édition du Monde du 16.07.05
INDIVIDUS
hébétés sur des trottoirs, corps inertes
sur la chaussée, arrivée des ambulances et des services
de secours. Quelques heures à peine après les attentats
qui ont frappé Londres, jeudi 7 juillet, les chaînes
de télévision, précédées ou
relayées par une multitude de sites Internet, mais aussi
par les journaux et magazines du monde entier, ont diffusé
des images du drame « filmées » par des passants
ou, mieux encore, par des témoins directs des explosions,
notamment au coeur du métro. Ces images saccadées,
pixélisées, ont été prises avec des
téléphones portables équipés d'appareil
photo et d'une fonction vidéo qui permet d'enregistrer
de courtes séquences vidéo.
Ces images, malgré leur médiocre qualité,
ces films, dont certains ont été tournés
quelques secondes après l'explosion dans une rame de métro,
décrivent une réalité que les professionnels
- cameramen et photographes - ne sont pas en mesure de montrer.
Ces attentats ont « marqué un tournant dans ce que
nous nommons «contenu généré par les
usagers˜ parce qu'il s'agit d'images qui racontent vraiment
ce qui s'est passé », affirme Vicky Taylor, responsable
du site Internet de la BBC. Un millier de photos ont été
envoyées jeudi par e-mail à la seule radio-télévision
nationale. L'une d'elles, prise par un passant, montre l'autobus
dont 13 passagers ont trouvé la mort. De son côté,
la chaîne Independent Television (ITV) a lancé par
SMS un appel à contribution à ses abonnés.
L'information immédiate, prise à la source même
de l'événement et diffusée quasiment en temps
réel, voilà le « rêve » de tout
organe de presse. Le phénomène n'est pas nouveau.
Les catastrophes aériennes sont depuis longtemps «
enregistrées » par des témoins. Mais depuis
la généralisation des Caméscopes, la vidéo
amateur est devenue la roue de secours des chaînes de télévision
et magazines, voire leur matériau premier. C'est aussi
vrai pour des émissions à succès, comme «
Vidéo-gag », diffusant des petits films tournés
par un inconnu qui se trouve au « bon » endroit au
« bon » moment.
Un tournant est intervenu avec les attentats du 11 septembre 2001
aux Etats-Unis. Les films amateurs montrant les avions en train
de percuter les tours du World Trade Center et les images des
employés de bureau sautant par les fenêtres ont été
largement diffusés dans les médias, des livres,
des expositions. C'est ensuite le tsunami de décembre 2004,
en Asie, qui a vu se multiplier les documents visuels amateurs,
au point de frapper les esprits et de favoriser un formidable
élan de générosité.
Les documents visuels de Londres vont plus loin. Ils participent
à l'enquête. Car ce sont bien les images prises par
1 400 caméras de surveillance installées dans le
métro qui ont permis d'identifier les quatre terroristes
kamikazes. Comme à la station de Luton. C'est somme toute
logique quand on sait que, selon une étude universitaire,
sept millions de caméras de surveillance sont en activité
en Grande-Bretagne. Chaque Londonien serait « capturé
» en moyenne 300 fois par jour par un objectif.
Ces documents identifiant les kamikazes sont à rapprocher,
d'une certaine façon, des images d'humiliation et de torture
prises par des soldats américains dans les prisons d'Abou
Ghraib, en Irak. Ces deux séries n'avaient pas vocation
à « entrer dans l'histoire ». Elles sont devenues
des pièces à conviction.
Là encore, on assiste à une amplification d'un phénomène
ancien. D'autres films ont déjà revêtu une
importance considérable. On pense aux images de l'assassinat
de John Kennedy, prise par un tailleur de Dallas en 1963. Ou aux
90 secondes tournées par un citoyen de Los Angeles, le
3 mars 1991, montrant des policiers blancs qui passent à
tabac un jeune Noir arrêté le long d'une autoroute.
Autant d'images qui ont marqué l'opinion. Un an plus tard,
après l'acquittement des policiers responsables, éclataient
des émeutes à Los Angeles.
Après les attentats de Londres, on en est sûr : aujourd'hui,
des centaines de millions de personnes sont en mesure d'immortaliser
une scène avec leur téléphone portable. Et
ce, avec une qualité qui ne cesse de croître à
mesure que les industriels repoussent les lois de la miniaturisation.
Ce qui était réservé aux possesseurs de Caméscope
et d'appareils photo se retrouve à portée de clic
du plus grand nombre. La généralisation des réseaux
mobiles à haut débit va encore faciliter et amplifier
la circulation de ces petits films pris sur le vif.
FILMS BRUTS ET SANS FARD
Pour le « meilleur », quand ils permettent de faire
avancer une enquête, mais aussi pour le pire. En Grande-Bretagne,
la police est confrontée au phénomène du
« happy slapping ». Dans les rues, des jeunes gens
attaquent ou brutalisent une personne choisie au hasard et par
surprise tandis qu'un comparse filme la scène de loin avec
son téléphone mobile. La vidéo circule ensuite
de portable en portable et atterrit sur des sites spécialisés
ou sur les plates-formes d'échange peer to peer. Prévu
à l'origine pour colporter la voix, le téléphone
mobile se transforme en émetteur et récepteur de
snuff-movie urbain. Une intrusion supplémentaire dans l'environnement
social bien plus dérangeante que les sonneries intempestives
du téléphone voisin.
Dans l'avenir il faudra donc s'habituer à voir cohabiter
toujours plus à la télévision et dans la
presse des documents d'amateurs et des images de professionnels.
Ce qui provoque une grande inquiétude de ces derniers.
Pour la défense de leur profession. Mais aussi à
cause de la nature de ces images différentes. Vidéos
et photos d'amateurs bien souvent fascinent, inquiètent,
révulsent ou émeuvent et sont donc, de ce fait,
l'exact opposé de ce que les médias offrent habituellement.
Le choc que ces films bruts et sans fard provoquent tient beaucoup
au fait, en dehors de leur contenu même, que la télévision
et la presse ne proposent bien souvent plus que des images léchées,
mises en scène et dénuées d'émotion
véritable. Le film amateur, dont la qualité hésitante
et l'esthétisme anxiogène inspirent certains cinéastes
(voir Le Projet Blair Witch en 1999), donne aussi à voir
aux téléspectateurs-voyeurs des scènes qui
jusqu'à présent ne pouvaient être racontées
que par l'écrit ou l'oral. Elles font ainsi reculer la
part de mystère qui entoure chaque événement,
chaque situation.
Face à la multiplication prévisible de ces documents
visuels en provenance du monde entier, la responsabilité
des médias est immense. Ils devront résister à
la tentation de vouloir tout montrer sous prétexte d'informer
et de ne pas se laisser concurrencer par des informations en ligne.
Ils devront surtout prendre beaucoup de précautions quant
à la source et à l'authenticité des images
transmises par le téléphone.
Guillaume Fraissard et Michel Guerrin